
Le documentaire Netflix revient sur les événements ayant conduit au drame du submersible Titan, mais combien l’engin conçu par Stockton Rush a-t-il coûté avant d’imploser sous la pression ?
Le submersible Titan a implosé en juin 2023 lors d’une plongée vers l’épave du Titanic, tuant les cinq passagers à bord, dont le milliardaire britannique Hamish Harding, le duo père-fils Shahzada et Suleman Dawood, l’ancien plongeur de la Marine française Paul-Henri Nargeolet, ainsi que Stockton Rush, le propriétaire de l’engin.
Bien que l’incident ait pu sembler inattendu, des experts en ingénierie expliquent dans Titan : Le naufrage d’OceanGate qu’il s’agissait bien d’un accident redouté, voire prévu depuis longtemps. OceanGate présentait en effet le Titan comme un engin capable de révolutionner l’exploration des grands fonds, mais en coulisses, de nombreux doutes subsistaient quant à son design, au déroulement des tests ou concernant ses protocoles de sécurité, des éléments sur lesquels le documentaire revient en détail.
Combien a coûté la construction du submersible Titan ?
Le coût total de fabrication du Titan est estimé à 360 000 dollars, mais n’a jamais été officiellement révélé par OceanGate.
D’anciens employés et des experts indépendants estiment en effet qu’il a été conçu avec un budget étonnamment modeste, certains avançant un chiffre aussi bas que 360 000 dollars pour les matériaux utilisés dans la fabrication du prototype.
Selon une estimation largement partagée par un passionné d’ingénierie marine, le coût inclurait environ 160 000 dollars pour les hémisphères en titane et les anneaux d’interface, ainsi que 100 000 dollars pour la coque en fibre de carbone.
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Quelques milliers de dollars auraient ensuite été utilisés pour chaque composant tel que le hublot, les propulseurs, les batteries, le câblage et d’autres systèmes embarqués – dont beaucoup étaient des solutions standards du commerce ou faites maison. Notamment le système de pilotage du submersible reposant sur une manette de jeu Logitech à 30 dollars, un détail qui avait fait les gros titres lorsque le Titan avait disparu.
L’intérieur épuré de l’engin – sans sièges, avec des câbles exposés, des lampes de camping et très peu d’affichages – reflétait également ce budget serré. Si OceanGate présentait cela comme une innovation, les critiques y voyaient plutôt une réduction des coûts au détriment de protocoles de sécurité éprouvés.

Des experts interviewés dans le documentaire Netflix affirment d’ailleurs que Stockton Rush privilégiait l’accessibilité financière et la rapidité plutôt que la sécurité. David Lochridge, ancien directeur des opérations marines chez OceanGate, avait même lancé l’alerte sur la sécurité du Titan – avant d’être licencié.
Tony Nissen, ex-directeur de l’ingénierie de la société, a également été renvoyé par Stockton Rush. Lors d’une audience, il a révélé que la majorité des décisions techniques étaient prises par le PDG lui-même, malgré l’absence de qualifications requises du chef d’entreprise sur certains domaines.
Si le prototype semble peu coûteux, une telle estimation ne prend pas en compte les coûts d’exploitation, de marketing, de salaires ni de logistique des expéditions. La construction complète du Titan pourrait en réalité avoir coûté entre 1 et 3 millions de dollars, une fois l’assemblage, l’assistance en mer et le développement logiciel pris en compte.
Ce qui reste toutefois une fraction du coût des submersibles spécialisés pour de telles profondeurs, auquel le Titan peut se comparer. À titre d’exemple, le Limiting Factor de Triton – souvent comparé à une capsule Apollo – aurait été construit pour un montant estimé à 37 millions de dollars.

De telles sommes ne sont pas excessives, puisqu’elles sont nécessaires pour construire un engin capable de résister à la pression exercée par l’eau. Mais là où les autres submersibles affichent des factures folles pour protéger leurs occupants, de nombreux experts affirment que Stockton Rush a fait des compromis du côté du Titan. Des compromis qui auront certes permis d’accélérer la conception de son appareil, mais qui ont aussi contribué au drame de 2023.
L’expert en submersibles Rob McCallum déclare dans le documentaire de Netflix : “Un jour qu’on déjeunait chez OceanGate, Stockton a dit qu’il avait décidé de se passer d’une classification, d’une contrôle indépendant. Je me suis levé : « Je ne peux pas discuter de ça ni être associé avec OceanGate ou avec ce véhicule. » Et je suis parti.” L’expert continue : “Tous ses contacts dans le secteur des submersibles lui disaient de ne pas faire ça. Mais une fois qu’on s’est engagé sur cette voie, en faisant tout soi-même, et qu’on se rend compte qu’on a fait fausse route dès le début, surtout quand on est Stockton, ça veut dire admettre son erreur. C’est très dur à avaler.“
Une pilule d’autant plus dure à avaler que d’importants investissements, beaucoup de temps et d’efforts avaient été consacrés à la commercialisation des expéditions vers l’épave du Titanic.
D’où venait l’argent ?
OceanGate, fondée officiellement en 2009, était une entreprise privée, et la majorité de son financement provenait d’investisseurs, de fonds de capital-risque, ainsi que d’autofinancement par Rush lui-même.

Selon des documents internes consultés par Wired, l’entreprise avait levé environ 9 millions de dollars en capital-risque et 4 millions supplémentaires via des filiales tirant profit des recherches et missions d’OceanGate, et ce dès 2018. Cependant, la majeure partie des revenus devait provenir des expéditions vers l’épave du Titanic – une place à bord du submersible pouvant coûter jusqu’à 250 000 dollars.
OceanGate a mené plusieurs levées de fonds au fil des années, la plus importante ayant eu lieu en 2020 avec un investissement de 18,1 millions de dollars. Cette somme devait permettre de poser les bases financières nécessaires pour étendre la flotte de submersibles et ainsi augmenter les ventes de billets.
Stockton Rush n’a jamais dévoilé l’identité des investisseurs, mais avait déclaré à l’époque qu’il s’agissait à “100 % d’initiés“. Malgré ces millions récoltés, OceanGate est restée dans une situation financière fragile. Dans Titan : Le naufrage d’OceanGate, des experts avancent que les délais ambitieux fixés par le PDG et les difficultés financières ont pu contribuer à l’abandon de certaines étapes critiques du processus.

Tout cela est parfaitement résumé par une déclaration de Mark Negley, ingénieur en matériaux et procédés chez Boeing, interrogé lors d’une audience sur les raisons de la fin de la collaboration entre Boeing et OceanGate. “Je ne sais pas exactement pourquoi. Mais je suppose que nous étions trop chers“, a-t-il déclaré. Car bien que Boeing et l’Université de Washington aient été impliqués dans les premières étapes du projet de submersible d’OceanGate, Rush s’en est rapidement détaché. Malgré tout, l’homme a continué à prétendre collaborer avec les deux institutions, ainsi qu’avec la NASA. Ce n’est qu’après le drame de 2023 que de tels détails ont fait la une des journaux.
En tant qu’entreprise privée, la valorisation d’OceanGate n’a jamais été rendue publique, mais la levée de fonds de 18,1 millions de dollars en 2020 laisse penser que les investisseurs croyaient encore à son potentiel commercial avant l’implosion du Titan.
Cependant, à la mi-2023, les dettes de l’entreprise et les dégâts causés à sa réputation lui avaient fait perdre pratiquement toute sa valeur, et elle a officiellement cessé ses activités en juillet de la même année. À ce jour, aucune poursuite pénale n’a été engagée contre les personnes impliquées.
Toutefois, Richard Ortoli – agissant en tant qu’administrateur de la succession de l’expert français du Titanic Paul-Henri Nargeolet, l’un des passagers décédés à bord du Titan – a intenté une action en justice contre plusieurs parties, dont la succession de Stockton Rush. L’affaire est toujours en cours.
Titan : Le naufrage d’OceanGate est disponible sur Netflix. Et pour plus de documentaires, vous pouvez consulter la liste de ceux qui sortent ce mois-ci, toutes plateformes de streaming confondues.